Le salut en Afrique dans les écrits des théologiennes africaines

Article paru dans Semaines théologiques de Kinshasa

Le discours théologique sur notre salut englobe plusieurs réalités. En parler, c'est certes se référer principalement à l'identité du Christ sauveur, dans une histoire du salut. Mais, comme les communautés chrétiennes ne peuvent offrir aux sociétés le salut en Jésus-Christ sans aussi en témoigner par le vécu quotidien et sans l'actualiser jusqu'au retour du Christ, le discours sotériologique est obligatoirement à multiples facettes, car il inclut la christologie, l'ecclésiologie, la théologie sacramentaire, la théologie de la mission et même l'anthropologie théologique.
Depuis l'impulsion donnée par la décennie la femme lancée en 1985 par l'ONU et reprise au niveau ecclésial par la décennie des Églises en solidarité avec les femmes (1988-1998), des théologiennes africaines sont engagées dans la résolution des problèmes majeurs de ce continent en développant une sotériologie africaine existentielle. Celle-ci est malheureusement peu connue, étant pratiquement, et à tort, confondue avec les féminismes occidentaux. C'est dans le cadre des acquis majeurs de cette théologie vraiment africaine que je vais épingler quelques défis pour un christianisme entrain de proposer le salut en Jésus-Christ à l'Afrique de ce troisième millénaire.
Après avoir brièvement présenté la spécificité de la démarche théologique féminine sur ce continent ainsi que l'originalité de son questionnement sur le salut, je développerai deux lieux importants où se joue la pertinence du salut proposé par le christianisme en Afrique aujourd'hui : l'anthropologique et l'ecclésiologique.

I. Le questionnement sur le salut dans sa version féminine africaine

La théologie dans la perspective du vécu de notre humanité selon sa version féminine sur ce continent constitue un véritable courant nouveau en théologie africaine : elle est une théologie prophétique, qui se distingue nettement des féminismes de l'hémisphère Nord, d'une part et, d'autre part, de ce qu'on appelle les "théologies de la féminité".
Premièrement, la différence avec les théologies féministes occidentales. Initiée à l'occasion des recherches des femmes théologiennes du Tiers-monde, la réflexion théologique des femmes africaines sur les réalités de ce continent telles qu'elles l'expérimentent au quotidien est moins polémique, ne visant ni l'honneur ni le pouvoir. Elle se situe plutôt dans la mouvance des théologies de la créativité et de la reconstruction, car elle part du constat de l'emprise de certaines idéologies, aussi bien profanes que religieuses, sur la conscience personnelle et collective des Africaines et des Africains. Cette emprise génère des habitudes et des institutions jugées "normales" et "humaines" dans nos cultures, mais que la morale sociale chrétienne appellerait tout simplement des "structures de péché". Cette théologie africaine dans une version féminine se veut alors une contribution à la reconstruction de l'Afrique, par la prise au sérieux de la force de renouvellement de nos consciences, de nos cultures et des structures de nos sociétés que représente l'accueil individuel et collectif du salut offert en Jésus-Christ.
Pour y parvenir, les théologiennes africaines engagées font une relecture critique systématique aussi bien des traditions africaines que de la tradition chrétienne elle-même, car toutes deux affectent le vécu des sociétés africaines au quotidien. Ces théologiennes se sont mises au travail pour redécouvrir et vulgariser à large échelle les trésors dynamisants de la foi chrétienne. Elles mettent plus particulièrement en valeur les éléments du salut offert en Jésus-Christ susceptibles de promouvoir, dans la conscience des membres des communautés chrétiennes, une vitalité nouvelle conduisant à la mise en place des structures et des habitudes compatibles avec l'Évangile.
Deuxièmement, différence avec les "théologies de la féminité". Il s'agit des discours théologiques sur la femme (et donc sur l'homme aussi) visant à définir leur identité selon une "volonté de Dieu" qui serait exprimée au niveau de la création et de l'événement Jésus-Christ. La "théologie de la féminité" est en fait une démarche d'en haut car elle part généralement d'une observation extérieure de la biologie féminine et s'appuie sur certains archétypes pour en déduire une image bien construite de la "nature de la femme" à proposer aux communautés chrétiennes et aux sociétés. C'est cette démarche d'en haut qui a produit le traditionnel parallèle Eve-Marie ou encore la doctrine selon laquelle la Vierge Marie serait la réalisation parfaite du "génie féminin", ou encore les discours sur la féminité de Dieu. Cette démarche d'en haut tombe malheureusement dans le piège des généralisations et de l'idéalisation, avec de sérieuses conséquences sur le vécu quotidien non seulement des femmes, mais aussi des couples, des familles et des sociétés entières, sans compter l'organisation ecclésiale.
C'est pourquoi une autre démarche a été initiée par les théologiennes africaines engagées : faire une théologie contextuelle, une véritable "féminologie d'en bas", qui ne part plus d'un supposé idéal féminin ou des archétypes déduits de certaines philosophies, mais plutôt des réalités africaines actuelles, bien sûr telles qu'elles sont perçues par l'humanité en sa version féminine, car aucune théologie n'est neutre. La femme n'y apparaît plus seulement comme l'idéal la douceur, de la beauté, de la tendresse, de la maternité, etc. Dans le concret de l'Afrique d'aujourd'hui, la femme c'est surtout une manière spécifique de vivre l'extrême pauvreté, l'horreur de la guerre, la lutte humaine pour le pouvoir, l'oppression des grands, la faim, la nudité, etc. Ce spécifique va négativement dans le sens du veuvage précoce, de la prostitution, de graves conflits conjugaux, des violences corporelles, de l'avortement, de la séduction, etc. Il va positivement dans le sens de la courageuse lutte pour le triomphe de la vie dans tous les domaines. C'est à partir de cette femme africaine-là et des conséquences de sa condition dans le sens de la destruction ou de la construction de l'Afrique tout entière, que se fait cette théologie contextuelle. D'où une attention particulière aux faits socioculturels, politiques et économiques ainsi qu'aux différentes idéologies, visions du monde, philosophies ou théologies qui affectent l'existence réelle des sociétés africaines dans leur version féminine. La situation heureuse ou malheureuse de la femme africaine y est un paradigme qui met en évidence la vraie et profonde crise que connaissent les sociétés et le christianisme en Afrique.
Par rapport à la question du salut, cette théologie au service de la reconstruction de l'Afrique s'interroge de cette manière : comment pourrait-on éviter que le récit du salut proposé par le christianisme à ce continent n'apparaisse comme un simple produit de consommation de doctrines, de rites, d'habitudes séculaires, constituant ainsi une espèce d'édifice préfabriqué dans lequel les individus et leurs familles n'auraient qu'à s'installer afin de garantir leur salut (présent et/ou eschatologique) ? En d'autres termes : comment faire pour que la proposition chrétienne du salut, qui consiste à la fois dans le discours, l'agir et les structures des communautés chrétiennes, devienne pour les habitants de l'Afrique une réelle offre d'un "matériau de construction" leur permettant de regarder autrement les choses, de manière à devenir inventifs dans la reconstruction de leur propre vie et de ce continent lui-même, dans le sens des valeurs du Royaume de Dieu prônées et inaugurées en l'événement Jésus-Christ ?
Pour y répondre, cette théologie africaine de la reconstruction en sa version féminine pointe plusieurs enjeux dans le cadre d'une sotériologie existentielle. Je me limite ici à l'anthropologique et l'ecclésiologique, comme lieux de témoignage crédible de la pertinence du salut proposé par le christianisme à l'Afrique actuelle.

II. L'anthropologique

En annonçant le Christ comme notre sauveur dans le cadre d'une histoire du salut, le discours sotériologique propose obligatoirement une anthropologie théologique relative à la fois au rapport entre Dieu et l'être humain, au rapport entre la créature humaine et les autres créatures ainsi qu'au rapport entre les humains eux-mêmes. La théologie dans la perspective des femmes africaines pointe l'anthropologie théologique habituellement proposée par le christianisme aux populations africaines comme un des nombreux défis majeurs de l'annonce du salut aujourd'hui.
En effet, dans le contexte de l'Afrique des guerres interethniques, des génocides, du tribalisme, de l'exploitation mutuelle de l'homme et de la femme au nom de leurs différences, de l'écrasement de certains êtres humains par d'autres au nom de la différence, la question anthropologique en christianisme n'est plus seulement : "qu'est-ce qu'est la femme et l'homme selon la volonté du créateur et suite au salut acquis en Jésus-Christ ?" La manière de vivre les relations humaines et les relations avec la nature insinuées dans le salut annoncé par les communautés chrétiennes aujourd'hui aide-t-elle vraiment cette Afrique où des coutumes séculaires ont réparti des fonctions et des rôles entre êtres humains, entre ethnies, entre créatures, à prendre une distance critique par rapport à tout ce qui nie, qui diminue ou qui fausse la dignité humaine des femmes et des hommes ? L'aide-t-elle à se défaire de tout ce qui justifie la violence, la division, le manque de solidarité entre les humains, au nom de leurs différences sexuelles ou ethniques, ou encore des différences au niveau de l'avoir ou du savoir ?
L'histoire de la théologie chrétienne et de la mission sur ce continent nous apprend que cela n'a pas toujours été le cas et que les doctrines chrétiennes ont parfois vulgarisé une anthropologie théologique qui n'était pas toujours fidèle à la Révélation. Depuis le 19e siècle, les sciences bibliques et historiques ont fait beaucoup de découvertes intéressantes et comportent des acquis qui nous poussent à revoir certaines catégories de l'anthropologie théologique héritée de l'Église primitive et des théologies d'avant le 18e siècle. Elles nous apprennent notamment que la gestion des différences par le complexe de supériorité ou d'infériorité, par la violence ou par l'exclusion, sont des structures de péché et qu'au cours de l'histoire, le christianisme est souvent tombé dans le piège de ces structures.
L'enjeu du discours anthropologique chrétien proposé à l'Afrique consiste dans sa capacité de libérer les énergies des communautés chrétiennes d'Afrique en vue d'une créativité qui les pousse à mettre en place des rapports interhumains et avec le reste de la création qui soient en rupture avec toute structure ou toute idéologie favorisant ou entretenant les valeurs destructrices des personnes et des communautés humaines, que ce soit dans nos coutumes, dans l'Église ou dans la société, et ce, en vue d'une Afrique qui vive de plus en plus les valeurs du Royaume de Dieu prêché par Jésus-Christ. Le contexte actuel de l'Afrique oblige alors le christianisme à proposer une gestion de la différence et de la diversité selon la volonté du créateur et en Jésus-Christ.
C'est dans cette optique que la théologie dans la perspective des femmes, qui s'adresse d'abord à la femme africaine et en vue de reconstruire tout l'humain en Afrique dans le sens des valeurs du Royaume de Dieu, privilégie une herméneutique révisionniste. Celle-ci consiste à passer au crible de la réflexion critique toute anthropologie favorisant des relations déshumanisantes, la violence, la médiocrité, l'attentisme, l'injustice, etc. Les théologiennes africaines engagées, qui travaillent toujours dans un contexte œcuménique, fouillent alors dans la tradition du christianisme pour rappeler des souvenirs oubliés et revaloriser des textes bibliques marginalisés mais combien dynamisants pour l'Afrique en crise. Elles puisent dans le trésor de la tradition chrétienne et des acquis des sciences bibliques contemporaines des éléments d'anthropologie théologique susceptibles d'encourager, de promouvoir et de créer des rapports interhumains qui ne soient plus destructeurs pour les personnes, les familles et l'Afrique d'aujourd'hui. Elles exploitent au maximum la narrativité pour provoquer une vision du monde et du relationnel inventive, de telle manière que les humains ne soient plus complices, par le silence, par les paroles ou par les actes, des rapports interhumains générateurs de la violence, de l'injustice, de l'exploitation mutuelle entre l'homme et la femme, entre les générations, entre les ethnies, entre les nations, entre les confessions chrétiennes.
Par exemple : le parallèle Eve-Marie, qui a été durant des siècles la base de l'anthropologie chrétienne dans sa version féminine (et donc masculine aussi), est resituée, dans le cadre d'une théologie narrative, dans le contexte de la grande diversité des figures bibliques. Eve et Marie y apparaissent comme faisant partie d'une énorme foule d'êtres humains insérés positivement et/ou négativement dans l'histoire du salut. Et ce panorama plus large que la seule fixation de nos regards sur deux femmes symbolisant le positif ou le négatif du salut permet d'être plus proche des réalités quotidiennes que vivent les populations africaines au niveau du relationnel et de susciter des options et des engagements concrets qui ne se limitent plus à la simple piété mariale. Cela dégage une nouvelle vision de l'être humain relationnel engagé dans l'histoire du salut et responsable face au destin de la société et de la création, dans la dynamique des valeurs du Royaume de Dieu. Dans cette Afrique où on a l'habitude de jeter la pierre à l'Occident, au colonisateur, aux politiciens, aux voisins, aux sorciers, à Eve et même au créateur, mais rarement à soi-même, une telle anthropologie dynamisante ne peut que répandre peu à peu dans la conscience des communautés chrétiennes une éthique de la responsabilité.
L'enjeu de cette théologie africaine engagée est donc de doter les femmes et les hommes d'Afrique de matériau c'est-à-dire de paradigmes nouveaux leur permettant de se construire eux-mêmes une identité du relationnel selon le plan de Dieu et qui aident l'Afrique à se relever effectivement. L'anthropologie théologique chrétienne qui serait mobilisatrice des énergies des individus et des communautés chrétiennes pour reconstruire l'Afrique est celle où la gestion des différences dans la société et dans le christianisme est théorisée et vécue comme enrichissante, où les identités sexuelles, ethniques, sociales, ou encore au niveau de l'avoir et du savoir, sont conçues comme l'obligatoire lieu d'une fécondité constructive pour le devenir de l'Afrique. Tant que la gestion des relations entre les hommes et les femmes ou entre les classes sociales, ou entre les ethnies, ou entre les générations, entre les confessions chrétiennes, entre les religions dans la société est basée sur des mauvais préjugés, sur la séduction, sur le sexisme, sur la violence, l'exclusion etc., on ne peut espérer bâtir une Afrique meilleure.

III. L'ecclésiologique

L'Église, Corps du Christ constitue à la fois un fruit du salut acquis en Jésus-Christ, un signe de ce salut pour le monde (cf. GS 43) et, selon la doctrine catholique, "le sacrement universel du salut" manifestant et actualisant le mystère de l'amour de Dieu pour notre humanité (cf. GS 45). Les communautés chrétiennes n'annoncent pas le salut seulement en paroles ou par des célébrations, mais aussi par leur capacité de se gérer institutionnellement au quotidien dans la logique de l'amour prêché et vécu par le Christ Jésus, sauveur du monde. Un autre défi de l'annonce du salut en Afrique est donc de rendre témoignage à l'effectivité de ce salut, à travers une organisation des structures ecclésiales promouvant des relations qui ne contredisent pas l'Évangile prêché par Jésus-Christ et le monde nouveau inauguré par lui.
Quelle parole de salut crédible et contagieuse pour les peuples d'Afrique constituerait le christianisme le jour où sa pratique, son organisation institutionnelle, ses ministères, les relations interpersonnelles et interconfessionnelles apparaîtront comme un triomphe sur l'égoïsme, sur la division, sur les manipulations mutuelles, sur les violences, sur le sexisme, sur le paternalisme, etc. ! C'est par un tel vécu ecclésial que le christianisme enfantera peu à peu une espérance constructive et dynamisante dans ce continent en quête d'une vie en abondance.
L'herméneutique révisionniste privilégiée par les théologiennes africaines engagées met en valeur certaines images bibliques de l'Église, qui sont généralement marginalisées dans le discours ecclésiologique, mais qui peuvent avoir un extraordinaire pouvoir dynamisant pour le vécu des communautés chrétiennes en vue d'un témoignage du salut plus crédible dans le monde d'aujourd'hui. S'il y avait eu plusieurs femmes au synode des évêques sur l'Afrique de 1994, elles auraient certainement fait remarque que le Nouveau Testament ne présente pas l'Église seulement comme corps, comme temple, comme famille, comme peuple, etc., mais aussi sous des figures paradoxales telles que "jeune-mariée" et "épouse", "vierge" et "mère", l'Église étant d'ailleurs menacée par la prostitution, l'adultère et la stérilité. Que peut retenir le contexte africain actuel de ces images paradoxales ?
Première image : la virginité de l'Église. En 2Co 11,2-4, saint Paul affirme avoir "donné en mariage" (h`rmosa,mhn) la communauté chrétienne à un époux unique, la présentant au Christ comme une vierge pure (parqe,non a`gnh.n). Il y exprime sa peur de voir cette compagne du Christ corrompe la pureté de sa virginité en laissant errer ses pensées loin de la simplicité reçue de l'Évangile. Cette image de la virginité de l'Église n'a pas été beaucoup développée dans la dogmatique chrétienne : Vatican II n'en retient que l'intégrité de la foi, de l'espérance et de la charité. Or, bien approfondie et intériorisée par les communautés chrétiennes, cette image néotestamentaire pourrait comporter une puissance extraordinaire de renouvellement des mentalités et libérer des énergies nouvelles pour les institutions ecclésiales en Afrique du 3e millénaire.
  • En effet, une Église vierge est une communauté chrétienne qui est décidée de ne recevoir la gloire et l'honneur que de son époux légitime, c'est-à-dire du Christ lui-même. Elle est décidée à garder fermement la simplicité et la joie évangéliques face aux valeurs non constructives de la vraie vie que proposent les mensonges séducteurs de ce monde. Une Église vierge est celle qui refuse de violer la conscience des petits et des faibles, qui ne crée pas chez les individus et les communautés humaines une dépendance déshumanisante vis-à-vis des institutions ecclésiales ou des responsables d'Église (au nom de Dieu ou au nom de l'autofinancement).
  • Lorsque le christianisme commercialisera le salut par la séduction des discours arrangés au goût des populations africaines (transformées en clients du religieux), ou marchandera ce salut en exploitant la crédulité et même l'angoisse existentielle des populations africaines, on parlera alors d'une Église qui a perdu sa virginité en devenant une prostituée (cf. Ap 17,1-6). Il en sera de même lorsqu'elle extorquera de l'argent et autres biens aux populations africaines en les séduisant par des doctrines où la beauté de la vérité divine est camouflée derrière le maquillage des mauvaises interprétations de la Bible ou de la doctrine chrétienne, maquillage qui n'est qu'une forme de violence pour anéantir la force de questionnement et la liberté de refus de l'autre.
Deuxième image : l'Église à la fois "jeune mariée" et "épouse". A l'instar de l'Ancien Testament qui avait utilisé des images sponsales et nuptiales pour exprimer des relations entre Dieu et son peuple, le Nouveau Testament parle de l'Église comme "jeune mariée" (nu,mfh en Jn 3,29 ; Ap 21,2 ; Ap 22,17) ou comme épouse (Ap 19,7 ; cf. Ep 5,25-29) ; Ap 21,9 parle de l'Église comme à la fois "jeune mariée et épouse" de l'Agneau (th.n nu,mfhn th.n gunai/ka tou/ avrni,ou). Lorsqu'il fait allusion à l'Église "épouse du Christ", le discours théologique traditionnel s'inscrit dans la logique d'Ep 5, 22-29 : être épouse du Christ, c'est lui être soumise et se savoir sanctifiée par Lui. Dans la situation actuelle de l'Afrique, l'image nuptiale et sponsale ne doit pas s'arrêter à l'affirmation dogmatique de l'identité de l'Église, ni seulement comme argument pour exclure une partie de l'humanité à certains ministères. Le fait de jouer sur les deux images de la jeune mariée encore toute fraîche dans sa nouvelle expérience et de l'épouse déjà bien enracinée dans le mariage, constitue une forte interpellation pour l'organisation des communautés chrétiennes.
  • L'Église jeune mariée - épouse est un milieu où les relations ne sont pas figées une fois pour toutes dans des modèles séculaires qu'on aurait qu'à reproduire partout et en toutes circonstances. Elle est cette matrice où se vit un cheminement, un apprentissage continuel de la fraîcheur dans les relations interpersonnelles ; l'accueil de l'altérité l'autre y constitue une dimension fondamentale et les différences conduisent à une fécondité réelle. La priorité de la personne humaine créée à l'image de Dieu et sauvée en Jésus-Christ sur les structures ecclésiales, si parfaites soient-elles, constitue la caractéristique principale d'une Église à la fois jeune mariée et épouse du Christ bien rodée dans les responsabilités familiales. Cette priorité constitue un lieu fondamental de vérification du salut annoncé par le Christianisme aujourd'hui en Afrique, à la suite du Christ.
  • L'Église jeune mariée - épouse peut devenir une adultère lorsqu'elle se laisse habiter par le mensonge envers elle-même et envers le monde, en plaçant les personnes au service des structures et non les structures au service des personnes. Elle est aussi adultère lorsqu'elle recourt à la consolation facile des amants de passage que sont les foules superficiellement enthousiastes ou encore les grands de ce monde, lorsqu'elle devient une séductrice des consciences humaines en vue de ses propres intérêts ou par peur de perdre des privilèges. Elle est encore adultère lorsqu'elle néglige la mission ad intra en la transformant en une espèce de routine, sans dynamisme nouveau.
  • Témoigner du salut dans l'Afrique d'aujourd'hui, c'est pour l'Église épouse du Christ appelée par son Seigneur à être toujours vierge, s'organiser dans ses structures de manière à ne pas abandonner l'humble place et le témoignage de la vérité qu'avait choisis le Christ, c'est refuser de se laisser travailler du dedans par le "levain des pharisiens et d'Hérode" (Mc 8,15 ; cf. Lc 12,1). L'Afrique a besoin d'un christianisme qui opte de nouveau pour le service humble et si humain de son Seigneur.
Troisième image : l'Église comme mère (Ga 4,26 cf. Jérusalem comme mère ; cf. Ap 12,13-17 et peut être 1Th 2,7). Cette image a été exploitée depuis l'Église primitive, pour mettre l'accent sur l'Église qui donne naissance à la vie nouvelle par les sacrements et qui éduque à la foi. Cependant, la fécondité de l'Épouse du Christ appelée à être toujours vierge ne se limite pas à la maternité et à l'éducation. Être mère, c'est fondamentalement donner à l'autre un espace pour l'épanouissement de sa vie, cet espace commençant dans le ventre de la femme, pour s'élargir dans son corps qui nourrit, ses mains qui soignent, son cœur qui porte le destin de l'autre, tout cela dans le cadre d'un relationnel qui donne priorité à la promotion de l'autre.
  • L'Église mère est celle qui s'organise comme un espace où la vie de chaque personne s'épanouit, où la vie est protégée, un lieu où la lutte contre tout ce qui diminue les êtres humains n'est pas réservé à quelques-uns.
  • Une Église mère toujours vierge est celle qui n'hésite pas à protester contre les forces de mort ou à pointer du doigt le mal, non seulement en discours et pour les autres, mais aussi en organisant ses propres institutions (au niveau des relations interpersonnelles et interconfessionnelles).
  • L'Église mère est celle qui ne prêche pas l'individualisme dans salut : le souci de l'unité du genre humain, de l'unification des personnes en elles-mêmes, en famille, dans les couples, dans les milieux de travail, de l'unité de l'Église aussi, constituent une de ses principales préoccupations pratiques. Se mettre au service de l'humanité défigurée, de la justice, de la paix et de la création en danger sont pour elle une réalité quotidienne.
  • L'Église mère devient stérile lorsque son espace est inhospitalier en étant peuplé de craintes, de rejets, de peur de ce qui est différent, de déni de la dignité de l'autre, de l'hypocrisie, avec des relations qui écrasent autrui au lieu de l'épanouir. Sa maternité est en cause lorsqu'elle se ment à elle-même avec des doctrines destinées à conforter le pouvoir ou l'avoir.
  • Elle devient une mère irresponsable lorsqu'elle produit des chrétiennes et chrétiens qui finissent par traîner dans la rue du marché religieux par manque d'encadrement adéquat, lorsqu'elle n'aide pas ses laïcs à passer de la "marche à quatre pattes" de la dépendance infantilisante à la stature debout de la responsabilité de tous les enfants de Dieu dans l'Église et dans le monde.

 
Un tel christianisme serait un témoignage convaincant d'un salut qui advient dans la liberté des individus et des groupes, invitant ainsi toute la société dans ce mouvement, par une espèce de contagion. Il en va du "sérieux" du salut certes déjà acquis en Jésus-Christ, mais concrètement offert à l'Afrique à travers l'annonce du salut en paroles, en actes et en structures ecclésiales ayant une configuration précise.

Conclusion

L'Afrique n'a plus besoin d'espèces d'édifices préfabriqués que seraient des habitudes séculaires ou des structures à défendre à tout prix, même lorsqu'elles ne sont plus mobilisatrices pour mettre les Africaines et Africains débout aujourd'hui. Elle a plutôt besoin d'outils que sont la proposition des forces de renouvellement inhérentes au salut apporté par le Christ et qui lui permettent d'entrer dans l'intelligence personnalisée de son destin, mettant alors les femmes et les hommes debout pour construire notre continent sur des bases nouvelles.
Du point de vue de la réflexion théologique africaine en sa version féminine, le christianisme n'a pas droit à l'erreur qui consiste à prêcher un évangile qui rend les habitants de ce continent plus complices des malheurs qui leur arrivent, plus complices de la violence, plus complices des préjugés destructeurs de l'humanité des personnes et des sociétés, plus complices de l'irresponsabilité, plus complices des relations engendrant la méfiance, la violence, les frustrations meurtrières. Vienne le temps où le christianisme prêchera, initiera et vivra en son propre sein, la force libératrice des rapports interhumains plus pertinents pour une Afrique en crise !