Violences faites aux femmes et mission de l’Eglise


Article paru dans la revue Spiritus
Si l'Église réunie au synode de 1994 "déplore et condamne, dans la mesure où elles persistent dans diverses sociétés africaines, toutes les coutumes et pratiques qui privent les femmes de leurs droits et du respect qui leur est dû" (Ecclesia in Africa 121), c'est que la Rédemption "atteint les situations très concrètes de l'injustice à combattre et de la justice à restaurer. On ne peut accomplir l'évangélisation sans promouvoir l'authentique croissance humaine dans la justice et la paix véritables" (EN 31). Étant donné que Redemptoris Missio 37 pointe les droits humains et la promotion de la femme comme nouveaux lieux de mission, il est important de prendre conscience des contours que peut prendre la mission dans l'aréopage moderne qu'est la violence faite à la femme, spécialement en Afrique. Pour ce faire, nous tracerons d'abord le visage multiforme des violences subies par la femme africaine, avant de pointer quelques appels urgents pour l'activité missionnaire aujourd'hui.

 
Une violence multiforme
L'Afrique des exactions quotidiennes sur les petits sans défense connaît, en plus d'innombrables veuves maltraitées à cause de leur précarité, des traditions qui légalisent la violence faite à la femme au quotidien. Des milliers de femmes sont, au nom des coutumes, soit battues par leurs maris et belles-familles ; soit violées dans des rites de "purification de la veuve" ; soit données aux visiteurs comme "cadeau".
L'Afrique du non-respect des droits humains au quotidien, de l'insécurité et des conflits armés, est remplie d'incestes, de femmes violées dans leur entourage proche, en milieux pénitenciers, professionnels ou estudiantins. Des jeunes filles sont enlevées comme esclaves sexuelles par les grands de ce monde. Des femmes sont arrachées de force de leurs foyers pour devenir des concubines ou des épouses forcées des autorités.
L'Afrique des pauvres est pleine de parents qui, pour "survivre" ou avoir un certain bien-être, en arrivent à favoriser la violence faite à leurs propres filles à travers le mariage forcé avec des riches, la prostitution ou leur vente. Des épouses de plus en plus nombreuses sont poussées par leurs propres maris à l'infidélité conjugale afin d'avoir un travail, une promotion ou pour accroître leur pouvoir politique.
L'Afrique de conflits politiques connaît beaucoup de femmes utilisées comme "arme de guerre", à travers des viols collectifs, publics, massifs et systématiques perpétrés par des troupes ennemies, dans le but affiché d'affaiblir moralement l'adversaire. On y vise aussi l'extermination à petit feu d'une population, en contaminant systématiquement toutes les femmes, comme c'est le cas dans l'Est de la RDC.
L'Afrique des pratiques magiques et fétiches contient de plus en plus de fillettes victimes de viols et incestes rituels, parce que des magiciens le prescrivent pour accroître la richesse, avoir des promotions sociales ou même guérir du sida, en "aspirant" la force vitale des vierges.
L'Afrique des femmes éduquées pour plaire aux hommes est remplie de femmes prêtes à faire souffrir leurs propres corps, dans le but de garder leurs hommes : des mères et grands-mères sont prêtes à soumettre leurs filles à l'épreuve de l'excision ou des pratiques corollaires, afin de leur garantir un mariage!
Quelles sont les conséquences de toutes ces violences physiques ?
  1. Les coups et blessures physiques ainsi que l'excision peuvent aller jusqu'à des maladies chroniques, des mutilations, voire le décès.
  2. Le viol occasionne des blessures graves au niveau de l'appareil génital, pouvant provoquer la détérioration de la santé reproductive, des amputations, des maladies sexuellement transmissibles. Certains cas nécessitent une chirurgie spécialisée et l'absence des spécialistes dans certaines régions occasionne des décès en masse.
  3. La souffrance morale provenant de l'humiliante expérience d'atteinte à sa propre dignité et à son intimité peut entraîner des troubles de personnalité allant dans le sens d'une auto-dépréciation, qui peut se transmettre de mère à fille! Dans plusieurs coutumes africaines, une fille ou une femme violée est jugée comme "coupable", méprisée, souillée ou impure, parfois punie (!) : personne ne voudra l'épouser et la femme mariée sera rejetée répudiée. C'est pour cela que les victimes de violences sexuelles gardent généralement le silence, par peur d'être méprisées et marginalisées, sans compassion pour la souffrance endurée. En certains lieux, on force le violeur à épouser la fille: c'est la forcer à vivre le reste de sa vie avec un homme violent et qui ne la respecte pas.
  4. Le viol massif et systématique utilisé comme arme de guerre provoque non seulement la destruction physique et psychologique de la personne, mais l'humiliation des couples et des familles entières. En effet, des hommes ayant assisté impuissants à l'humiliation de leurs épouses, mères, sœurs ou filles en sont devenus déstabilisés psychologiquement et affectivement ; certains sont devenus fous.
  5. Les femmes rejetées par la société se retrouvent sans ressources, exposées à la mendicité et à la prostitution, ce qui aggrave leur précarité. Certaines doivent en plus résoudre la question de grossesse non désirée.
  6. Pour les femmes croyantes, cette expérience est une véritable épreuve de la foi, d'abandon par Dieu.
Cette complexité de conséquences a entraîné les actions suivantes dans certains d'endroits : des centres d'accueil pour soins médicaux spécifiques, surtout pour les viols ; des lieux d'écoute pour une aide psychologique, afin de rompre le silence, d'exprimer la souffrance morale et contribuer à la soulager ; des cadres préparant à une réinsertion sociale moyennant une petite formation et une aide financière ; des actions de dénonciations des faits, poursuite des coupables et promulgation des lois protégeant les femmes exposées aux violences sexuelles et autres.
Là où ils existent, surtout en zones de conflits armés, ces centres marchent bien, mais on y déplore un grand vide : le christianisme ne propose aucune aide spirituelle spécifique au désarroi spirituel des femmes victimes des violences ainsi qu'aux membres de leurs familles affectés par la situation. C'est dire que les violences faites aux femmes constituent un lieu où l'Église est appelée à déployer une activité missionnaire!

 
2. Des appels pour la mission
La chosification de l'être humain étant une des causes principales des violences faites à la femme, une pastorale d'assainissement de l'environnement mental des sociétés africaines devient un impératif missionnaire. Il s'agit de dénoncer explicitement, comme contraire à la volonté divine, des pratiques qui chosifient la personne humaine et son corps, le commercialisent, en font un instrument au service de l'intérêt égoïste et de la recherche du plaisir, ce dont la femme est la première victime (cf. Christifideles laici 49). Chaque Église locale évangélisera en profondeur par la lutte contre toutes les formes d'esclavage et de dégradation de la femme, les coutumes qui empêchent le reflet de la gloire de Dieu dans la femme ainsi que la mauvaise image de la femme inculquée à la jeunesse et à la société à travers les médias (cf. Propositions 6 & 48 du synode des évêques sur l'Afrique, en 1994). Assainir ainsi les mentalités, c'est finalement produire peu à peu une conscience chrétienne dans la population, qui refusera systématiquement de pactiser avec ces germes de violence que sont les structures de péché déniant la dignité des hommes et des femmes et pervertissant leurs relations.
De même, comme le silence des victimes est une des causes principales de la perpétuation des violences faites à la femme, le christianisme a l'impératif missionnaire d'être la voix des sans voix. Une Afrique où la majorité féminine est habituée à garder silence sur les violences au quotidien est en danger quant à son avenir : ce silence empêche de découvrir les coups, blessures, maladies physiques et de les soigner à temps. Cela contribue non seulement à l'expansion sournoise des MST non soignées, à affaiblir la santé de la reproduction de toute une population, mais aussi à pérenniser cette plaie sociale qu'est le manque de sanction infligée légalement aux auteurs des violences. Parce qu'elle est prophétique dans sa nature, l'Église doit non seulement contribuer à dénoncer les faits et leurs auteurs, mais aussi éduquer la femme africaine à briser le silence. Il s'agit de libérer la parole des femmes africaines qui, éduquées par leurs coutumes à la soumission aux humiliations qui portent profondément atteinte à la dignité de la personne humaine, sont habituées à s'incliner en silence devant le sacrilège fait à la personne humaine, image de Dieu, juste pour sauvegarder l'honneur de la famille. L'Église du Christ refusera de se modeler, au nom d'une mauvaise compréhension de l'inculturation, sur les structures culturelles éduquant les filles et les femmes dans la soi-disant attitude héroïque de résignation passive à des situations injustes, car il n'est pas chrétien de se taire ou de se résigner devant des structures de péché dont on est victime, aussi bien dans la famille, dans la société que dans l'Église (cf. Jean-Paul II, Lettre aux femmes 5). La formation de la femme chrétienne consciente de sa responsabilité baptismale de témoignage de la vérité est donc une priorité.
Le dernier impératif consiste à inventer une pastorale de la consolation des victimes des violences et leur entourage. Puisons dans le trésor biblique et spirituel de l'Église pour exploiter les psaumes, textes bibliques, prières, bénédictions et sacramentaux, qui peuvent soigner les blessures psychiques et spirituelles des femmes violées et leurs familles affectées. Membres souffrants du corps du Christ, elles ont à recevoir, au sein même de leur épreuve, la force du Christ torturé, violenté, crucifié, mort puis ressuscité par Dieu.

 
Conclusion
Etre victime d'un viol ou autre violence physique n'est pas un acte de péché ni une souillure : l'Église ne doit pas, comme le prêtre et le lévite, passer loin de cette forme particulière de souffrance. Comme le bon samaritain, elle ne se modèlera pas sur les préjugés sociaux, mais "il s'approcha, banda ses plaies en y versant de l'huile et du vin, le chargea sur sa propre monture, le conduisit à une auberge et prit soin de lui." (Cf. Lc 10,30-36)!