PASTORALE BIBLIQUE ET FEMMES AFRICAINES



Article publié dans la revue du BICAM

La pastorale biblique consiste en un ensemble d'activités ayant pour objectif d'aider le peuple de Dieu à mieux comprendre les Écritures saintes, pour mieux en vivre. On peut avoir une pastorale biblique d'ensemble qui vise toutes les catégories des fidèles d'une manière globale, tout comme il peut y avoir aussi des pastorales bibliques visant un milieu spécifique en raison de ses caractéristiques particulières (enfants, jeunes, mal voyants, mal entendants, malades, prisonniers, etc.). C'est dans ce second dynamisme qu'il faut situer une éventuelle pastorale biblique attentive au groupe spécifique des femmes et spécialement les femmes africaines.
Il est cependant intéressant de chercher à savoir si vraiment les femmes africaines profitent de l'offre de l'apostolat biblique (I). Étant donné l'atout qu'elles constituent potentiellement pour l'épanouissement des leurs (II), quels peuvent des éléments pouvant renouveler la pastorale biblique de manière à ce qu'elles soient vraiment bien outillées dans la connaissance de leur foi et de la Bible, et pour leur propre bien et pour celui des leurs? (III). Nous nous limiterons ici à l'Afrique noire chrétienne, en puisant dans mes 15 ans de modeste expérience de pastorale biblique en milieux féminins de la RD Congo, dans l'Église catholique romaine

I. Les lieux de la pastorale biblique où les femmes africaines sont les plus présentes

Les femmes d'Afrique sont des destinataires de la pastorale biblique d'abord en tant qu'êtres humains créés à l'image et à la ressemblance de Dieu, sauvés en Jésus-Christ et objet de la permanente sollicitude divine. La Parole de Dieu leur est destinée parce que Dieu veut les sauver et les faire parvenir à la vérité (cf. 1Tm 2,4). L'Église, qui se fait "tout à tous" pour en sauver le plus grand nombre (cf. 1Co 10,33) ne néglige aucune catégorie humaine, y compris les femmes. Comme tout le reste des membres du Peuple de Dieu, la pastorale biblique s'intéresse aux femmes africaines pour leur permettre d'avoir une bonne interprétation de la Parole de Dieu consignée dans la Bible ainsi que des critères de discernement pour ne pas se laisser entraîner par des fausses doctrines. Elle contribue à les éduquer à une prière chrétienne enracinée dans les Écritures, à travers l'initiation à la lectio divina et au partage fraternel de la Parole de Dieu. La connaissance des Écritures introduisant à la connaissance du Christ notre Seigneur, une bonne pastorale biblique contribue, à long terme, à les rendre capables d'imiter le Christ dans la vie quotidienne, par le fait d'avoir des réflexes chrétiens inspirés de la contemplation de Jésus-Christ dans les Écritures. Bref, si toutes les femmes africaines, ces interlocuteurs écoutés facilement au nom de leur maternité et capables d'être enceintes du salut des autres, bénéficiaient et profitaient vraiment des différentes activités de la pastorale biblique, quel atout pour la chrétienté en Afrique!
Cependant, une question mérite d'être posée: les femmes africaines profitent-elles vraiment des différentes activités proposées par l'apostolat biblique? Ma petite expérience d'une quinzaine d'années d'engagement dans la pastorale biblique, aussi bien sur terrain dans les paroisses qu'à travers les moyens de communication sociale, m'a fait découvrir que le degré d'implication des femmes africaines dans les activités relatives à la pastorale biblique est fort variable. Voici une petite idée de ce que j'ai pu observer sur terrain:
    On remarque une très faible implication des femmes lorsque la pastorale biblique propose aux fidèles d'acheter et écouter des cassettes audio sur la Bible ou encore des livres assez savants d'introduction à la Bible, pour au moins deux raisons: le coffret coûte cher et le langage des livres est trop compliqué (= technique).
    Il y a une implication relativement moyenne lorsqu'il s'agit d'acheter des Bibles intégrales (français ou langues africaines), de suivre avec persévérance les cours ou sessions bibliques étalés en semaine ou plusieurs mois, de suivre les émissions radioffusées ou télévisées consacrées à l'introduction à la Bible. Les raisons avancées sont nombreuses: les gens n'ont pas la culture d'acheter des livres (on achète plus facilement des habits et de la nourriture et on préfère recevoir un cadeau d'une Bible plutôt que d'en acheter soi-même!); avec le faible taux de scolarité dû à la pauvreté des familles dans plus en plus de milieux, le nombre d'analphabètes augmente et beaucoup de femmes ne lisent pas facilement ni avec plaisir; les activités (qui demandent une certaine concentration intellectuelle) sont programmées en soirées ou prennent plusieurs jours ne sont pas une offre abordable pour les femmes et filles qui ont des responsabilités ménagères, ou bien c'est à des heures où elles sont épuisées de s'être dépensées pour le prochain toute la journée. Les femmes participent plus facilement aux activités intellectuelles organisées le dimanche matin.
    L'implication s'avère par contre forte lorsque le langage et l'horaire sont abordables ou encore que c'est vivant à cause de la présence de l'image et du débat: cours, séminaires ou conférences bibliques organisés en week-end; achat du NT ou autres sélections des textes bibliques et des bandes dessinées sur des personnages bibliques (surtout féminins); suivre et participer activement aux émissions bibliques à la radio. Les raisons en sont simples: il est possible de se libérer le week-end (ou durant les vacances pour les élèves et les étudiantes), surtout si les thèmes traités sont intéressants pour la vie quotidienne; le prix abordable et la taille du document qui le fait entrer facilement dans un sac à main; les personnages bibliques féminins attirent beaucoup car elles sont comme un miroir de la complexité de sa propre vie.
    Cette forte implication devient vraiment massive lorsqu'il s'agit de suivre les partages bibliques radiodiffusés, de participer aux conférences ou sessions centrées particulièrement sur les femmes de la Bible; d'acheter puis lire les feuillets bibliques d'introduction et commentaire des lectures du dimanche (souvent en langage très simple). En effet, on sort ici d'ici d'une logique de la pure formation biblique pour entrer dans le domaine de l'actualisation: on écoute l'autre faire un lien entre la Parole de Dieu et la vie quotidienne ou on lit l'actualisation proposée par quelqu'un d'autres dans des feuillets bibliques. On s'intéresse même beaucoup au personnage biblique de Marie, la mère de Jésus, parce que son intercession à Cana est "actualisable" pour nous aujourd'hui, dans les difficultés de la vie quotidienne.
Ces degrés d'implications sont à peu près les mêmes pour les hommes qui côtoient les paroisses et centres pastoraux que j'ai rencontrés: analphabétisme, pouvoir d'achat, disponibilité, lien avec la vie. Mais il y a quand deux éléments qui sont particulièrement accentués chez les femmes et auxquels on doit faire attention. Premièrement, le taux d'analphabétisme est plus accentué chez les femmes que chez les hommes car, dans les milieux pauvres d'Afrique, s'il faut choisir entre la scolarisation d'un garçon et d'une fille, on choisit le garçon car on se dit que la fille sera un jour pris en charge par son mari. Deuxièmement, les charges ménagères prennent beaucoup de temps et d'énergies physiques aux femmes et aux filles des familles pauvres, les excluant d'une certaine façon de toute pastorale qui demande de l'attention soutenue.
Et tout cas, tout ceci montre que les femmes africaines sont encore peu présentes dans les activités d'apostolat bibliques : non pas par rapport aux hommes mais par rapport aux opportunités qui sont proposées au peuple de Dieu. C'est dire qu'elles n'en profitent pas à fond, et elles risquent de le rester longtemps si des nouvelles stratégies ne sont pas prises. Or les femmes africaines sont non seulement une véritable force et un véritable pouvoir à double tranchant, lorsqu'elles ne sont pas bien formées!

II. Les femmes africaines comme un potentiel à ne pas négliger

A) Les femmes africaines, une force fragilisée par l'analphabétisme doctrinal

Bien que déjà marquée par une forte présence de grandes religions (christianisme et islam) ainsi que des formes actuelles des RTA, l'Afrique est caractérisée par une impressionnante capacité non seulement d'accueillir sans cesse toutes sortes de doctrines qui viennent de l'Orient et de l'Occident, mais aussi d'en créer en permanence. Aussi bien dans les villes que dans les villages africains, n'importe quel personnage venant proposer le salut facile à travers une doctrine religieuse nouvelle a facilement des adeptes. Et dans les foules africaines qui affluent vers ces nouvelles doctrines et solutions miracles, la grande majorité est composée de femmes.
Elles sont le plus nombreuses au moins à cause du fait que, dans les familles d'Afrique, la femme est généralement éduquée, depuis qu'elle est toute petite fille, à porter le poids affectif des grands événements de sa famille et de son entourage. Qu'un problème survienne, c'est elle qui doit se précipiter pour pâtir et exprimer vivement la souffrance et la joie collective: dans les deuils, c'est elle qui est comme "l'officiante" des pleurs et sanglots au nom de tous; dans les fêtes, la part des cris de joie et des danses lui revient en priorité; on la prépare à accompagner, par une présence affectueuse et réconfortante, les cœurs brisés ou abattus. Elle apprend tout cela non seulement à partir des jeux spécifiques comme la poupée, mais aussi et surtout en accompagnant sa maman, ses grandes sœurs et autres partout où elles vont, en tout ce qu'elles font. Elle est ainsi éduquée à penser plus souvent aux autres qu'à elle-même, à travailler plus pour les autres que pour elle-même. Elle dynamisée pour être en permanence comme enceinte de la félicité de l'autre, en portant en elle le souci de l'épanouissement d'autrui jusqu'à son accouchement, c'est-à-dire le moment où l'autre sera pleinement heureux.
De telles femmes constituent véritablement une force pour leurs familles et pour toute l'Afrique car les personnes qui sont sous leurs responsabilités familiales ou autres peuvent compter sur elles pour une lutte incessante visant leur bonheur. Mais cet extraordinaire dynamisme comprend un revers: pour le bien des siens, une femme ainsi éduquée est prête à tout, à aller chercher pour les siens le bonheur partout où il est proposé. On comprend alors que dans une Afrique où le nombre de déplacés, réfugiés, chômeurs, enfants abandonnés dans la rue, personnes vivant en dessous du seuil de la pauvreté, etc. constituent un pourcentage assez élevé, les femmes africaines ont un poids énorme à porter dans leurs cœurs et qu'elles peuvent courir dans tous les sens pour trouver une solution leur permettant d'accoucher de l'épanouissement des personnes qui sont sous leurs responsabilités affective.
Et c'est ici qu'une exploitation des femmes africaines analphabètes des points de vue biblique et doctrinale devient possible, car sur cette terre il n'y a pas, même en matière religieuse, que des gens intègres et justes! Et effectivement, combien de femmes africaines n'ont-elles pas, en allant chercher le salut des leurs dans de groupes de prières et autres manifestations religieuses, détruit leurs familles au lieu de les aider? Combien, par manque de connaissance de la Bible et de la saine doctrine chrétienne n'ont-elles pas avalé des doctrines fausses qui les ont transformées en des personnes dépouillant leurs propres familles de tout, délaissant leurs enfants sans encadrement, et faisant même parfois plus de mal aux leurs que du bien?
Voici un exemple dramatique. Beaucoup de mères africaines sont préoccupées par le mariage de leurs jeunes filles. Or la crise économique faisant qu'il faut beaucoup de moyens financiers pour fonder une famille, beaucoup de jeunes gens attendent d'avoir un travail stable avant de se marier, et ce, dans un contexte où le taux de chômage est très élevé. A Kinshasa, quelques personnes se présentant comme "prophètes envoyés par Jésus-Christ selon Is 61,1" (sic!) ont commencé à prêcher que les filles qui ne trouvaient pas de maris étaient possédées par des démons qui les avaient épousées dans le monde invisible comme l'enseigne (sic!) Gn 6,2! Pour ce faire, ils initièrent ce qu'ils appelèrent "le rituel des filles de Loth", prêchant qu'en Gn 19,8 ce dernier avait offert aux pervers de Sodome ses filles vierges et que Dieu demandait que ce soit plutôt à ses prophètes qu'il offre les vierges, pour qu'elles soient sanctifiées de l'onction de l'Esprit Saint aient automatiquement la chance d'avoir un bon mariage(sic!). Par amour pour leurs filles, des centaines de mamans apportèrent de force leurs filles, mêmes petites, pour qu'elles soient violées par ces prétendus "oints de Dieu". Et cela accrut le taux de contamination des MST dans le secteur, sans oublier le traumatisme de toutes ces filles!
L'analphabétisme biblique et doctrinal de la majorité des femmes africaines ne les expose pas seulement aux charlatans et pervers religieux. Le fait de fréquenter ces derniers et d'avaler leurs mensonges font que ces femmes deviennent imbues de fausses doctrines, étant par conséquent dans un état doctrinal pire qu'avant! Or ce sont elles qui, dans la vie de tous les jours, sont les premières à transmettre les rudiments de la culture et de la foi aux enfants qu'elles éduquent! Pour éviter que les femmes africaines transmettent à leurs enfants et entourage des idées erronées sur la Bible et la doctrine chrétienne, il est urgent d'avoir une pastorale biblique bien pensée pour elles. Il faudrait au moins que, partout où il y a des activités de la pastorale biblique, les femmes soient les plus nombreuses: c'est la force de l'Afrique et il ne faut pas que cette force devienne la porte ouverte pour la perte de l'Afrique, à cause de l'analphabétisme biblique et doctrinal de la femme. Il en va de la qualité du christianisme en Afrique et de l'avenir même du continent!

B) Les femmes africaines, un pouvoir à canaliser vers le bien

Dans l'imaginaire collectif, les femmes africaines sont comme cette femme qu'a chantée Camara Laye: "ô toi ma mère je pense à toi … toi qui me portas sur le dos, qui guida mes premiers, qui la première m'ouvris les yeux aux prodiges de la terre … je pense à toi". Les hommes d'Afrique qui ont été bien éduqués dans cette mentalité, comme ceux d'autres continents d'ailleurs, écoutent d'une manière particulière et affectueusement les mères et voit toute autre femme comme une prolongation de leur mère. Les enfants et hommes africains sont très attachés à leurs mères ou à la femme qui les a élevés tout petits. Ils lui font une très grande confiance, sauf si une autre femme vient prendre cette place dans leurs cœurs… Un adage le dit d'ailleurs: "derrière tout grand homme, il y a une grande dame…" Et quand un homme Africain exprime des belles idées, un adage courant dit : "une femme le lui a dit la nuit…". Derrière cette opinion populaire se trouve une grande conviction, vérifiable dans la vie quotidienne des hommes et des femmes d'Afrique: la femme a une grande influence chez l'homme, un véritable pouvoir sur lui.
Si les femmes africaines sont des femmes sages, cultivées, intègres, quelle chance pour l'avenir de l'Afrique! Et en cas contraire, quel désastre ! Et effectivement, les hommes qui ont eu des bonnes institutrices à l'école primaire, des bons professeurs aux degrés supérieurs ou des encadreuses dans leur cheminement de foi en sont généralement très marqués et ils ne se gênent pas de dire souvent qu'ils sont comme le "fruit" de ces femmes de valeur. Dans l'autre sens, les hommes et femmes qui ont eu la malchance d'avoir des femmes qui ont affiché une ou plusieurs formes d'incompétence qui les a fortement influencés, aboutissent généralement à des généralisations allant dans le sens d'une minimisation de toute femme, quelle qu'elle soit.
Dans le domaine de la transmission de la foi, on peut facilement imaginer la gravité que peut comporter, pour une chrétienté locale, la présence d'une nombre très élevé de femmes analphabètes du point de vue de la doctrine et de la connaissance de la Bible. Et dans la situation actuelle de l'Afrique, la situation n'est pas luisante. Car avec les nouvelles technologies des médias, même une femme africaine qui vent au marché ou se promène dans la rue sans chercher à aller dans des nouveaux mouvements religieux où on prêche des fausses doctrines y a accès par des radios qu'on écoute dans les bus, les taxis, les baffles des voisins, etc. On assimile les fausse doctrines en faisant la lessive dans sa cour car le voisin qui regarde un prédicateur des miracles sur sa télé l'a mise au volume maximum; ou encore en allant conduire son enfant à l'école, parce que partout dans les rues il y a d'énormes affiches de prometteurs de miracles; ou encore parce que ses propres enfants ont été acheté une cassette audio d'une star de musique chrétienne commerciale imbue elle-même d'une fausse doctrine qu'on véhicule avec des très belles mélodies… C'est grave parce que tout passe ici par les voix et les mélodies qui entrent dans l'inconscient parce qu'en arrière-fond pendant qu'on fait une autre activité.
N'est-ce pas peut-être à propos d'une telle catégorie de femmes que l'apôtre Paul a pu dire à Timothée: "Je ne permets pas à la femme d'enseigner ni de faire la loi à l'homme"(1Tim 2,14)? Car, effectivement, si les femmes africaines (et aussi les hommes!) qui assimilent d'une telle manière les nouvelles doctrines ne sont pas pris en charge pour une formation biblique de base qui leur permet de faire un discernement de tout ce qu'ils entendent, elles seront des conseillères dangereuses pour les hommes qui les écouteront d'une façon particulière, avec affection et mettront en pratique leurs suggestions.
Pour cela, la pastorale biblique pourrait aussi abondamment utiliser les médias catholiques. Comme nous l'avons vu dans le premier point de cette réflexion, un des lieux où les femmes sont les plus impliquées dans la participation aux activités proposées par la pastorale biblique, ce sont les émissions à la radio et à la télévision, surtout celles qui mettent un lien entre la Parole de Dieu et la vie quotidienne. Moi-même j'en ai fait l'expérience: les quelques émissions que j'ai faites à la radio catholique de Kinshasa sont assimilées les femmes car, chaque fois que je vais dans une paroisse et qu'on me présente, il y a toujours quelques mamans qui viennent demander : "êtes-vous la même personne que celle qui a fait l'émission sur tel évangile, en disant ceci …?". Et c'est important que ces émissions soient faites par des personnes compétentes mais qui savent transmettre le savoir biblique avec simplicité et pédagogie, aussi bien en français qu'en langues africaines.
Il serait bon d'ajouter des émissions qui donnent un éclairage biblique sur des éléments de la doctrine, de la liturgie, de la piété catholique. Les quelques émissions qui passent sur le lien entre eucharistie et Bible, piété mariale et Bible, culte des saints et Bible, rosaire et Bible, etc. font tellement de bien non seulement aux femmes mais à tous les fidèles, car c'est sur ces petits points que les charlatans religieux les attrape facilement…

III. Des méthodes renouvelées

Il ne suffit pas de constater que les femmes africaines sont peu participantes à un certain nombre d'activités de la pastorale biblique et que d'un autre côté elles sont fragilisées dans leur rôle par l'analphabétisme biblique et doctrinal. On peut chercher quelques moyens qui peuvent faciliter leur accès au contenu des offres classiques que toutes sortes de raisons leur empêchent d'accéder. Quelques éléments des habitudes cultures des femmes africaines peuvent être d'un grand secours, notamment les associations des femmes, leur parure, les berceuses, les jeux féminins.

A) S'inscrire dans la dynamique du réflexe associatif des femmes africaines

Partout en Afrique, les femmes cherchent à s'associer pour se soutenir mutuellement dans leurs activités, quelque soit le domaine: agriculture, commerce, milieux professionnels, mamans d'enfants qui vont à la même école par le même chemin, etc. Cet esprit associatif a fait ses preuves dans plusieurs milieux et depuis des siècles car il a permis aux femmes de se soutenir mutuellement pour aller de l'avant dans plusieurs domaines, même si c'est vrai que de temps en temps il y a des associations problématiques du point de vue éthique.
Dans la pastorale biblique, cet esprit associatif peut être récupéré au moins à trois niveaux. Il y a premièrement la possibilité de créer des cercles des femmes qui lisent la Bible ou étudient la Bible à partir des associations existantes. J'ai rencontré par exemple une association de femmes qui avaient autrefois étudié dans une même école et qui par hasard habitaient dans un même quartier. Elles se rencontraient au début pour raconter les vieux souvenirs; puis ce fut pour célébrer ensemble les anniversaires; puis pour faire la ristourne pour s'acheter des habits et des bijoux. Une d'elle écouta une fois une émission biblique à la radio diocésaine de Kinshasa et prit goût. Au prochain anniversaire, elle proposa qu'on commence par simplement lire le passage biblique de la liturgie du jour. A force de répéter tout le monde prit goût: à chaque rencontre on lisait et petit à petit on fit un partage biblique d'une dizaine de minutes. Un jour, le groupe se heurta à un texte difficile à comprendre et toute la réunion tourna au vinaigre, car le débat fut houleux. L'une des femmes, m'ayant entendu à une émission sur la Bible à la radio, m'invita à la prochaine réunion pour expliquer le texte. Je commençai par une petite introduction à la Bible et les gens prirent goût. Et à partir de là, le groupe d'anciens élèves est devenu un groupe d'études bibliques: ou bien on invite un prêtre ou une bien on suit ensemble une émission biblique à la radio, ou bien on partage ensemble la lecture d'un commentaire biblique; et cela prend 15 minutes de chaque rencontre puis on revient aux soucis des habits et des bijoux. Cet exemple montre qu'avec un peu d'imagination, on peut trouver des éléments qui accrochent des associations des femmes existantes et leur donner l'appétit de la connaissance de la Bible. Comme elles se rencontrent de toutes façons pour d'autres activités, on peut joindre l'utile à l'agréable.
Le deuxième niveau concerne l'achat des Bibles pour les femmes ou d'autres dépenses pour avoir accès à la formation biblique. Beaucoup de femmes catholiques n'ont pas les Bibles qu'ils faut pour pouvoir vraiment bien profiter des offres de la pastorale biblique. En effet, la majorité de femmes que j'ai côtoyées dans la pastorale ont la version biblique "Louis Segond" soit parce qu'elle est la moins chère, soit parce qu'elle a été donnée comme cadeau par une femme protestante. Pour le NT, c'est le tout petit publié et distribué gratuitement par les Témoins de Jéhovah. Les Bibles recommandées pour les catholiques (Bible de Jérusalem, TOB, Bible des communautés chrétiennes pour la RD Congo) commencent petit à petit à être utilisées par eux, à cause du prix qui a diminué. Or dans les milieux associatifs féminins, les cotisations marchent très bien surtout lorsque leurs intérêts sont en jeu. Si les associations sont bien conscientisées sur l'importance d'une bonne Bible, elles peuvent facilement cotiser ou faire de la ristourne pour que chacune ait ce qu'il faut.
Et enfin, pour le troisième niveau, il y a le fait que dans tous les milieux des femmes, il y a toujours des meneuses, qui influencent toutes les autres. Si on arrive à faire que des femmes influentes aient le goût de la lecture de la Bible, elles pourraient en entraîner beaucoup d'autres. Et si les femmes réussissent, elles entraîneront les hommes.

B) Intégrer la parure féminine dans les outils de l'apostolat biblique

Les femmes dans le monde entier et la femme africaine aiment la parure. Or dans de plus en plus de pays africains, on imprime des passages et même des personnages bibliques sur les pagnes des femmes (que des hommes aussi portent de plus en plus). En effet, pour des grandes manifestations, des femmes choisissent des versets bibliques qui leur permettent de s'identifier comme chrétiennes et d'affirmer publiquement qu'elles y sont attachées et s'arrangent avec des grands commerçants pour l'impression et la vente
On pourrait optimiser ce réflexe d'utiliser le pagne de la femme comme atout de vulgarisation d'une certaine "culture biblique", car pour le moment, la plupart des pagnes ont seulement un ou deux versets, comme par exemple: "Je suis la servante du Seigneur", "je suis le chemin, la vérité et la vie", etc. Il y a par-ci par-là des pagnes qui sont déjà de véritable petits cours de la Bible: pagne sur les douze apôtres de Jésus. Mais il y a une difficulté réelle: ce sont des commerçants qui ont pris le marché et produisent en fonction des événements et sans bien maîtriser la Bible, au point de faire souvent des fautes d'orthographe et même de doctrine!
Pour parer à cette difficulté il y a au moins deux possibilités: ou bien les initier à la Bible (en veillant à joindre l'utile à l'agréable), ou bien la pastorale biblique produit elle-même des pagnes avec un objectif de formation, en alliant l'utile à l'agréable par le fait de veiller à la qualité artistique. On peut, par exemple, faire des pagnes style "catéchisme biblique" c'est-à-dire avec question-réponse. Quelques spécimens existent déjà, comme par exemple le pagne portant "les noms des 12 apôtres de Jésus"; ou encore celui enseignant "les 4 évangélistes et les 4 évangélistes". On peut aller plus loin: par exemple, à une époque où les milieux de réveils mal outillés sur l'hébreu biblique déforment beaucoup attributs de Dieu dans l'AT, on peut vulgariser, par le pagne de la femme, les noms divins et leurs vraies significations dans l'AT, etc.

C) Des berceuses et jeux féminins "bibliques"

Les femmes africaines sont, de par leur tâche de mères et éducatrices, les premières à transmettre aux enfants les rudiments et valeurs fondamentales de la vie. Et donc de la foi aussi. Si leur foi n'est pas enracinée dans la Bible et la doctrine chrétienne, elles exerceront mal cette tâche et transmettra éventuellement des hérésies. Or comme nous l'avons vu plus haut, leurs charges ménagères leur font rater un certains nombre de formations bibliques et doctrinales indispensables. A par le fait de profiter des mouvements associatifs existants et dont elles font partie, on peut aussi les doter de bons instruments pour transmettre la bonne doctrine à leurs enfants. En Afrique traditionnelle, la femme comme "transmetteuse" de la tradition avait quelques outils à sa disposition. J'en évoquerai juste deux qui peuvent être réutilisés pour la pastorale biblique ayant pour objectif de doter les mères de familles des atouts nécessaires pour transmettre la foi et non les doctrines fausses: les berceuses et les jeux féminins.
Il y a d'abord les berceuses véhiculant le message de la Bible: En Afrique, la femme a un grand pouvoir sur l'orientation de la personnalité de l'enfant qu'elle porte dans son ventre et qu'elle va materner et élever. L'Afrique traditionnelle a composé beaucoup de petites chansons spécialement destinées à être chantonnées pour bercer les enfants, calmer leurs ardeurs, etc. Elles transmettaient toute une sagesse de vie qui marque la personne humaine dans son inconscient pour toujours. Au moins dans les villes aujourd'hui, la plupart des jeunes mamans ne connaissent plus ces chants: elles bercent les enfants avec les chansons des musiciens qu'elles assimilent sur la place publique, à la radio ou à la télévision. Celles qui sont chrétiennes préfèrent des "chants bibliques" et chantonnent des chants chrétiens, et les petits enfants intériorisent ainsi le nom de Jésus. Pourquoi la pastorale biblique ne profiterait-elle pas de cette ouverture pour promouvoir des compositeurs de berceuses ayant un contenu biblique, spécialement toutes les affirmations centrales sur l'amour de Dieu, la providence divine, Jésus bon pasteur, Jésus doux et humble de cœur, Jésus qui aime les enfants, etc. ?
Il y a ensuite les jeux d'enfants. Connaissant le grand pouvoir de la femme sur le prochain (l'enfant qu'elle materne, l'époux qu'elle accompagne), l'Afrique traditionnelle a toujours veillé à bien former le sens communautaire, de responsabilité et de sacrifice à la petite fille, à travers des jeux proprement féminins, accompagnés le plus souvent de chansons spécifiques, en alliant l'utile à l'agréable. Un grand nombre de ces jeux tourne autour de la tendresse envers l'enfant, la séduction des hommes, le sens du sacrifice, la morale sexuelle, etc. Pourquoi la pastorale biblique ne prendrait-elle pas appui sur cette réalité pour aussi créer des jeux pour enfants qui véhiculent le message central de la Bible?

Conclusion

Dans les paroisses et autres lieux d'Église, ce sont les femmes qui sont les plus engagées: elles sont très généreuses dans le service, très ferventes dans les sacramentaux et dévotions, mais généralement peu présentes dans l'étude de la Bible et la formation doctrinale. Du coup, elles sont peu instruites sur les fondements de leur foi. Un coup d'œil sur le degré de participation des femmes africaines aux différentes offres de la pastorale biblique montre qu'elle n'en profitent pas beaucoup, pour diverses raisons. Or de par leur rôle de mères, éducatrices et compagnes de vie, les femmes africaines sont les premières à transmettre aux enfants les rudiments et valeurs fondamentales de la vie. Et donc de la foi aussi. La force et le pouvoir qu'elles constituent pour les leurs est un atout important pour l'épanouissement et le développement des Africains, mais seulement lorsque les femmes africaines ne sont pas des analphabètes dans plusieurs secteurs. Dans le domaine religieux plus particulièrement, l'analphabétisme biblique et doctrinal les expose à toutes sortes de doctrines qui les transforment en font un véritables danger au lieu d'une chance pour les leurs. On ne peut donc banaliser la priorité qui doit leur être accordée dans l'effort d'aider le peuple de Dieu à profiter réellement et pleinement des offres de la pastorale biblique. Et pour pallier aux difficultés réelles que rencontrent les ménagères et autres femmes très occupées au service des leurs, s'inspirer des atouts qui existent déjà dans le monde féminin africain pour une pastorale biblique renouvelée ne peut que faire du bien.